COÏNCIDENCE


Le premier jour de notre arrivée à l’ENPA, en octobre 1959, on nous avait demandé de remplir des fiches individuelles sur lesquelles était mentionné notre nom, adresse, et toutes sortes de renseignements nous concernant.

Assis à ma gauche, se trouvait un garçon que j'avais remarqué car il affichait en permanence un petit sourire naturel et il écrivait avec application les renseignements demandés. J'ai jeté un coup d’œil furtif sur sa fiche et j'ai vu qu'à la rubrique lieu de naissance il avait écrit : RUFISQUE .


« Eh, mon ami, tu sais plus où tu es né alors tu copies sur ma fiche ? »


« Non, non, je suis bien né à Rufisque au Sénégal »


« C'est incroyable, moi aussi lui répondis-je ... »


Voilà quel fut mon premier contact avec Bernard FORNER, né dans le même petit village à côté de Dakar, il faut dire que je n'ai jamais trouvé depuis une autre personne née là-bas, mais la coïncidence ne s'arrête pas là.

Si Bernard est né au Sénégal, c'est parce que sa maman était mariée avec un militaire le Lieutenant FORNER et que ma mère était mariée avec le Sergent Henri Marty , tous les 2 faisant partie du même régiment. Ces 2 mères de famille étaient venues rejoindre leurs maris à Dakar avant qu'ils n'embarquent pour Alger afin de reconstituer les forces en vue du débarquement sur le sol français.


Nous sommes au printemps 1943, Bernard vient de naître, son père est déjà sur le Sidi Bel Abbés, transport de troupes, avec le premier mari de ma mère. Au large d'Oran, au petit matin du 20 avril 1943 , un sous-marin allemand torpille le bateau qui coule très rapidement emportant dans les profondeurs les 2 hommes et quelques 1500 soldats qui n'auront pas l'honneur de débarquer dans le midi de la France ou en Italie.

Moi, je suis né un peu plus tard en 45 après que ma mère, veuve de guerre, ai rencontré mon père à Rufisque.

Voilà ce qui me liait encore un peu plus qu'aux autres à ce charmant garçon, calme, doux, gentil, que la haine, la bêtise et la sauvagerie des hommes a enlevé à sa famille et à ses amis beaucoup trop tôt à l'âge de 19 ans.


Bernard FORNER, laisses moi imaginer ta présence à l'A.G 2013, avec nous, tes copains de la promo 59-63 qui porte désormais ton nom. Je te vois arriver à l’hôtel Cap Roig, tu as toujours ton éternel sourire sur tes lèvres, on te reconnaît tout de suite, tu n'as presque pas changé, même pas un début de « pancha » comme la plus part de nous, même pas un début de calvitie, comme beaucoup, on s'embrasse, on dirait qu'on t'a quitté la veille. Cà doit être çà, c'est certain, on t'a quitté la veille.


Heureusement que tu es devenu un adulte et que tu ne t'amuses plus à certain jeu, mais quelqu'un m'a dit : « J'ai vu FORNER tout à l'heure, il avait une petite balle à la main, il cherchait un mur... »

Allez, Bernard, laisses ta petite balle et viens avec ton éternel et merveilleux sourire boire une anisette avec tes amis de Ta promo, à ta mémoire.


Pavel JURAS 59-63