M'adressant à de jeunes adolescents, j'ai voulu leur faire confiance: c'était le meilleur moyen d'obtenir leur respect pour l'encadrement, de développer leur intérêt pour le métier, de faciliter leur entrée dans la grande famille de l'Aéronautique.
Il est de coutume dans les écoles, d'exiger, en premier, une mise en rang des élèves, suivi d'un appel et d'un regroupement en classe suivant un ordre secret, à leurs yeux.
Ils découvrent des têtes nouvelles, ignorent les fonctions, imaginent le pire. Ajouté à la contrainte de l'internat, situation nouvelle pour beaucoup d'entre eux, je ne pense pas que cette journée ait laissé le souvenir impérissable d'une joyeuse fête dans les têtes de ces enfants de quinze ans, en moyenne.
A la fin de cette première année scolaire, pour moi aussi, dure année, je décidai d'accueillir les élèves à l'atelier d'une façon nouvelle. Ayant réuni tout le monde dans l'atelier central, chefs d'atelier, PTA, personnel des services généraux / ateliers, je me présentais par mon nom et ma fonction.
Sur un tableau je commençais un organigramme de l'école en précisant la fonction de chacun : le Directeur, j'écrivais le nom de Mr. MALATERRE, puis celui des services: économat, Direction des études, Surveillance Générale, et de leurs chefs ainsi que leur rôle auprès du Directeur et la collaboration existant entre eux et moi- même, et les limites qu'il y avait lieu d'observer entre nous pour le traitement des questions pouvant surgir: à l'économat les problèmes d'intendance, à la direction des études pour les cours, à la surveillance générale pour la discipline, les absences, les congés, au chef des travaux pour toutes les questions professionnelles.
Mon organigramme se complétait avec la désignation des différents ateliers et la présentation de leurs chefs respectifs et de leurs adjoints.
Je brossais un rapide tableau de la formation qu'ils allaient recevoir en quatre ans, et de la sanction finale suivie d'une embauche dans les AIA.
J'insistais particulièrement sur la qualité du travail dans l'Aéronautique, citant la phrase du directeur de l'AIA de Maison Blanche, l'ingénieur en chef CHATRY ( nom donné à l' atelier central pour lequel il a beaucoup Suvré) qui lors d'un accueil des jeunes ouvriers avait dit: "En aviation, faire une erreur est pardonnable, la cacher est un crime".
J'en donnais toujours un exemple simple. J'abordais ensuite la discipline aux ateliers et les relations qui devaient être les nôtres. D'abord le respect mutuel: nous saluer lors de la première rencontre quotidienne. Avec simplicité mais sans désinvolture. La tenue: j'insistais sur les dangers qui pouvaient exister et principalement aux machines-outils, au banc d'essais, aux équipements.
J'avais fait réaliser une tenue étudiée pour réduire au maximum les risques inhérents aux tenues fantaisistes, débraillées ou incomplètes, citant la mésaventure arrivée à un de leurs anciens, CABILIC, qui s'était fait prendre une mèche de ses trop longs cheveux et avait été scalpé sur 20 cm2 (5cm de diamètre).
Le règlement de discipline intérieur des ateliers était simplement celui des ateliers où ils allaient travailler à l'issue de la formation à l'E.N.P.A. Si les bavardages n'étaient pas encouragés, le silence n'était pas imposé ni l'immobilité absolue au poste de travail: à chacun de prendre ses responsabilités pour faire un bon travail et ne pas gêner celui de ses camarades.
S'il n'était pas interdit de se rendre à une autre section, voire un autre bâtiment, il importait de prévenir le moniteur où le chef d'atelier où ils avaient à se rendre. Et ce, toujours pour des raisons de sécurité et non de simple discipline réglementaire.
Il arriva que ces consignes élémentaires ne furent pas respectées et il en résulta un accident que je citais les années suivantes en exemple.
Il y eut trois accidents graves en quinze ans: le scalp avant mon arrivée faute d'avoir une casquette, un doigt coupé à la guillotine de la chaudronnerie d'un élève de l'ajustage, et un très grave: la main droite coupée d'un élève, SICARD, travaillant sur fraiseuse horizontale.
A l'imprudence de l'élève s'ajoutait une mauvaise disposition de l'interrupteur sur cette machine assez ancienne.
Après les consignes de propreté du poste de travail de chacun et des ateliers en général, je signalais aux élèves, qu'étant considérés comme des adultes, ils devaient avoir à cSur de ne pas couvrir les murs de graffitis ou insultes puisqu'il leur était permis de le faire sur les tableaux verts fussent-ils porteurs d'insultes à mon égard, ce dont nous débattrions honnêtement dans l'atelier ou à mon bureau car il ne devait pas y avoir de malentendus entre nous.
Au demeurant, écrire sur le tableau, cela ne souillait pas l'environnement! Je signalais également qu'à mon arrivée, j'avais fait effacer tous les graffitis et dessins obscènes qui garnissaient les W.C. et je leur demandais de maintenir ces lieux en l'état de propreté que je pensais être minimale pour notre dignité à chacun et à tous.
Même si je comprenais certaines pulsions accrues par l'internat, se vaincre soi-même était la première victoire de l'homme qu'ils allaient devenir.
Résultats: Je prévins que je souhaitais ne jamais punir, mais toujours discuter car je trouvais que "la punition était la forme la plus dégradée de l'autorité". Y a t il parmi les anciens, un qui aurait retenu cette formule ? De 1950 à 1963, je n'ai donné qu'une punition, mais sévère: l'expulsion à un pourtant bon élève qui s'entêtait à fabriquer de faux passe-partout et fut pris lors de sa 3ème tentative.
Ce paragraphe est long mais explique ce que fut l'esprit de la discipline "librement consentie" puisque jamais ne refleurirent les graffitis, et que postes de travail et ateliers furent toujours bien tenus et, à part deux accidents, il n'y eut guère d'incidents requérant punition ou aggravation de la discipline.
Je dois aussi rendre hommage à mes collaborateurs avec qui j'avais élaboré cette séance d'accueil et ce règlement non écrit et qui ont su transmettre la règle et l'esprit et me soutenir dans toutes mes actions visant à donner une formation professionnelle et non "scolastique" au sens péjoratif du terme.
La réunion se terminait par une visite détaillée dans chaque atelier et les jeunes élèves apprécièrent toujours la démonstration de mise en route des avions et le "point fixe" sous la conduite du chef d'atelier.