Un parcours scolaire semé de cactus

Niéto promotion 1952-56.



Les circonstances qui m'ont amené à intégrer l'école de l'Air de Cap Matifou commencent en primaire à l'école Caussemille qui se trouvait dans le quartier du Hamma situé dans la partie Est de la ville d'Alger. Ce quartier populaire était bien connu de tous les Algérois car il comprenait, en remontant de la mer: le jardin d'Essais, le musée national, la villa Abd el Tif, la grotte Cervantès et le fort des Arcades.

A la fin de l'année scolaire du CM2, les meilleurs élèves étaient sélectionnés pour se présenter au concours d'entrée en 6e. J'étais classé dans le premier tiers, mais la liste se terminant juste avant moi, j'ai fait partie des élèves dirigés vers la classe préparatoire au certificat d'études primaires. Inutile de préciser qu'à l'époque il n'y avait pas de conseils de classe, et il n'était pas question d'aller contre les décisions prises par la direction de l'école. Je me retrouvais donc à la rentrée scolaire 1949 dans la classe de fin de cycle primaire; j'avais juste 11 ans. Je termine 3e et, stupeur, on me dit que, vu mon âge, je ne pouvais pas me présenter au certificat d'études et qu'il me fallait doubler la classe.

 Je double donc et termine l'année une nouvelle fois à la 3e place (aie! le français) et même scénario que l'année précédente; je n'ai pas encore l'âge requis! A la rentrée scolaire 1951 je triple donc la classe. Dans cette grisaille j'entrevois une lueur car, depuis 1 an, une 5e technique a été instaurée à l'école; il n'y avait pas de local disponible et la classe avait été installée dans le préau. Un grand rideau la séparait de la cour de récréation et protégeait les élèves un peu du froid pendant l'hiver. Me disant qu'ils étaient capables de me faire quadrupler, j'explose et mène une vie d'enfer à nos deux instituteurs. Malgré les punitions qui pleuvaient - j'étais retenu tous les soirs - je les interrompais sans arrêt, je jetais craies et encriers au tableau en disant que je voulais aller en 5e technique. Au bout d'une semaine de ce tintamarre, un des instituteurs me prend par le col de la chemise et avec un coup de pieds aux fesses (de parade et avec un grand sourire aux lèvres, pas mécontent que j'avais réussi à faire plier la direction) me dit : «f.. moi le camp en 5e!». Inutile de dire que j'y étais en quelques secondes.

A la fin de l'année je termine 3e (eh oui! toujours le français et la dictée en particulier) et me présente à plusieurs concours dont l'École de l'Air de Cap Matifou en 4e I et 3e TI, et enfin à l'examen du certificat d'études. ouf! J'ai réussi à tous les concours - et même au "Certif", qui dit mieux - et j'ai choisi bien sûr l'École de l'Air en 3e TI, car l'internat était pour moi la seule chance de poursuivre mes études en étant boursier complet. En octobre 1952 j'intègre donc la 3e TIb qui comprenait des élèves venant de 3e, de 4e et moi, de 5e . J'ai, bien sûr, accusé le coup, d'autant que je n'étais pas un acharné du travail. Je faisais beaucoup de sport et pendant les périodes de compétitions d'athlétisme et de volley-ball, j'étais toujours absent le jeudi après-midi, au grand dam du professeur d'anglais, Mr. LAMOINE, qui m'en a toujours voulu (la seule et unique appréciation que j'ai eue de sa part a été "plafonne"). Je termine péniblement l'année à 5 ou 6 places du dernier.

A la rentrée 1953, sans que j'en aie été averti, je me retrouve sur les bancs de la 4e I (vous avez bien lu). Je me dis que, décidément, j'en aurai jamais fini avec les institutions éducatives : en primaire, sans ma révolte, on m'aurait fait quadrupler, et voilà qu'en secondaire on continuait le massacre par une rétrogradation! Là, j'ai réagi tout de suite et forcé la direction à analyser mon dossier. Après 3 jours de suspense on m'a donné une chance de refaire une 3ème TI, à condition de passer avec succès un examen... de redoublement! Il y a 4 ou 5 ans j'ai retrouvé l'instituteur de l'école Caussemille, auteur du coup de pied "libératoire". Il a 83 ans aujourd'hui et je le revois de temps en temps avec un immense plaisir. Il connaissait très bien cette mésaventure et, à mon grand étonnement, m'a apprit qu'il était intervenu à l'époque auprès de la direction de l'Ecole de l'Air pour plaider ma cause.

J'ai passé cet examen et j'ai réussi, heureusement! et c'est ainsi que je me suis retrouvé en 3ème TIa avec la promotion 1953, que je n'ai plus quittée jusqu'à l'obtention du diplôme de l'ENSICA. Mon copain, René ROBEIN, m'assure qu'il s'agit d'un cas unique; un record en quelque sorte, mais j'en détiens un autre, celui-là dans le domaine des punitions, que je vais vous relater pour terminer ce divertissement.

Cela se passe en 2ème TIa. Nous étions en étude du soir sous la surveillance d'un pion qui s'appelait MORLAIX. Comme d'habitude vers 20 h 50, une certaine agitation démarre : rangement des livres et cahiers, claquements des pupitres, bourdonnements etc. et vers le fond de la classe, où j'avais mon bureau, certainement un peu plus de brouhaha qu'ailleurs auquel, naturellement, je participais.    

J'entends tout à coup : «NIÉTO, un avertissement». Surpris je lui dis : «ne comprends pas, nous sommes tous à discuter et c'est moi qui trinque». Il marque un temps d'arrêt et du haut de son estrade me lance:« 2 avertissements ». Je manifeste ma réprobation par je ne sais plus quels propos, auxquels il me répond :«consigne ». Alors là je me sens bouillir et je lui rétorque : « je sais que vous êtes du Ruisseau (quartier à l'extrême Est d'Alger qui jouxtait Le Hamma), je vous retrouverai ». Les enchères s'arrêtent là. Nous regagnons le dortoir et nous avons la visite de MANDRILLON qui, s'adressant à nous tous, me passe indirectement un savon dans le genre : « J'ai été informé de la tenue inqualifiable d'un élève envers le surveillant…». Il repart sans me désigner ouvertement - il aimait bien prendre certaines attitudes théâtrales - mais je savais que cela n'allait pas s'arrêter là.       

Le lendemain - nous étions en cours d'atelier - vers le milieu de la matinée, je suis demandé à l'entrée. MORLAIX m'attendait et m'annonce que je suis convoqué séance tenante par la direction. Le temps de me changer et nous voilà tous les deux cheminant vers mon lieu de supplice, moi devant, ne me pressant pas dans l'espoir de le voir me dépasser, et lui, devinant mes intentions belliqueuses, restant obstinément derrière.  Cahin-caha nous atteignons le bâtiment de la direction et je suis aussitôt introduit dans le bureau de Mr. MALATERRE. J'ai passé un bien mauvais quart d'heure et je n'étais pas fier du tout.

En conclusion Mr. MALATERRE me dit : «Heureusement que tu es bon élève, sinon c'était le renvoi immédiat. Tu as 2 blâmes et 3 jours d'exclusion».    Je ne vous décris pas le désarroi de ma mère et mon immense chagrin de la voir dans cet état.          

Je purge ma peine et retourne à l'école assez abattu. Là une grande surprise m'attendait : au tableau d'affichage des punitions le mercredi, je lis avec horreur que je suis consigné 4 dimanche de suite pour purger les 2 blâmes car, et chacun s'en souvient, cela correspondait à 8 consignes, et il fallait un dimanche complet pour effacer 2 consignes. On m'obligeait donc à régulariser mes 3 jours d'exclusion…à l'envers!

J'ai purgé cette seconde peine en étant enfermé seul dans la petite salle située à droite du local vitré du surveillant général et de son adjoint, pendant 4 dimanches de 8h à midi et 13h30 à 17h30. Je ne devais pas sortir, sauf besoins urgents. Je me souviens avoir eu des visites furtives de pions qui venaient sans doute vérifier si je n'étais pas entrain de creuser un tunnel pour m'échapper! En outre, pendant ces 4 semaines, j'avais trouvé le moyen de cumuler 3 nouveaux avertissements qui m'ont valu de rester un dimanche matin de plus mais, pour cette consigne "ordinaire" j'ai pu sortir quand même un peu et jouer au basket.

Voilà, j'en ai fini avec mes petites histoires, empreintes, plus de 50 ans après, d'une certaine nostalgie. Ces tranches de vie passées dans nos différentes écoles, et en particulier à Cap Matifou, ont, à des degrés divers, marqué chacun d'entre nous. Elles ont été une référence constante et une base sur lesquelles nous avons construit, avec succès, nos carrières respectives.

Que tous les enseignants de l'école en soient remerciés et vive l'Amicale qui nous comble de joie pour les retrouvailles annuelles qu'elle nous permet.