DISCIPLINE LIBREMENT CONSENTIE :
Les deux premières promotions bénéficièrent d'un régime de discipline qui ne surprendrait pas aujourd'hui& encore que !
Nous étions considérés comme des adultes, responsables. A nous de le prouver, par notre comportement d'élèves studieux,
respectant l'environnement matériel et humain. En contre partie, nous n'avions pas de surveillants pour faire régner l'ordre, mais des
maîtres d'internat pour nous épauler. Cette conjoncture était dans la logique du moment. Au sortir de l'occupation, nous étions ivres
de liberté, d'idéal, pour un avenir que l'on croyait heureux et sans contrainte.
Au cours d'une réunion annuelle de l'Amicale où nous avions rendu hommage à la mémoire de notre premier surveillant général,
Mr. Amokrane ARESKI, nous avons écrit à son épouse le texte qui suit :
Lettre de Gilbert BARRAUD à Mme. ARESKI,
C'est avec une réelle émotion que je me permets de vous écrire aujourd'hui. Notre Amicale, cette année, a voulu honorer la
mémoire de Mr. ARESKI.
Membre de la Commission Animation, c'est surtout au titre d'ancien élève de la deuxième promotion 1945 - 1949 que je
voudrais prendre part à cet hommage avec ce témoignage personnel.
A l'Aérium de Jean Bart où était hébergée notre école, Mr. ARESKI a été notre premier surveillant général. Nous sommes
sûrement très peu nombreux , aujourd'hui, sur les cinquante pensionnaires de notre dortoir à nous souvenir de certains épisodes
de cette époque là.
C'était la période euphorique de l'après guerre où régnait à l'école une « discipline librement consentie ». Nous en avons bien
profité &. Quelques semaines&. Les soirées étaient très calmes. Tous au lit, à 21 heures. Un rapide contrôle visuel de notre
surveillant général pour s'assurer que toutes les places étaient occupées, et c'était l'extinction des feux .Mais, dès l'obscurité venue,
quelques camarades sautaient prestement de leurs lits, s'ébrouant quelque peu, (ils sétaient couchés tout habillés), se précipitaient
vers une fenêtre laissée ouverte pour l'enjamber et disparaître dans la nuit. Ils allaient au cinéma ou au bal , à Ain Taya, rejoindre par
les chemins de traverse , celles qui, pour certains, allaient devenir plus tard leurs épouses.
Ces fugueurs n'ont jamais eu d'ennuis. Je pense que notre surveillant général, notre aîné de quelques années seulement, n'a jamais
été dupe. Il nous savait déjà responsables de notre avenir, et nous laissait une certaine liberté.
Quelques mois plus tard, à quelques jours des vacances d'été, grande était notre excitation. Sous l'effet de groupe certainement,
nous qui étions restés si longtemps bien sages et raisonnables, un soir, nous avons en quelques minutes, réduit en débris cinquante
lits de camp , toile et bois. Quel spectacle de ruines découvrit notre surveillant général alerté par notre chahut. Il nous gratifia d'un
puissant : << Il y a des brebis galeuses parmi vous>>.
Mais à notre grand étonnement, Mr. ARESKI toujours aussi calme, nous ordonna le rangement de la literie bois dans un angle
du dortoir et nous fit refaire nos lits . Nous avons ainsi passé les deux nuits précédant le départ, sur un matelas à même le sol avec
un drap et un polochon.
La veille des grands départs, l'année suivante, toujours à Jean Bart, la direction de l'école, sagement retira les lits de camp&.
D'autres décisions furent prises avec la venue de Mr. PAUCHET et plus tard celle de Mr. MANDRILLON. La discipline librement
consentie fût abandonnée.
Un règlement draconien vit le jour. L'effectif croissant de l'école le rendit peut être nécessaire. Mais personnellement , je crois plutôt
que l'éloignement de la période euphorique et pleine d'espoirs de l'après guerre, ainsi que la mise aux normes administratives et
disciplinaires de notre école, en furent les principales causes.
Mr. ARESKI est toujours resté un symbole pour nous, celui de la réussite par le travail et notre témoin d'une époque où la liberté
et l'espérance n'étaient pas de vains mots.
Il ne me reste plus, Madame, à vous dire le plaisir que j'ai eu de me remémorer ces souvenirs.
Extraits d'un texte de Gilbert BARRAUD.