Un parcours scolaire et professionnel d'exception !

BENAMMOUR Mohamed

Promotion 1954-58.



PARIS – VILLEJUIF- le 12 AOUT 2019 
En vacances chez mon fils, cadre informaticien  à la banque LCL à Paris, je suis tombé par hasard  sur le document intitulé « ENPA- promo 54-58 » en consultant internet, car je recherchais un membre de ma famille, dont on m’avait parlé, lorsque je représentais l’Aéronautique Civile à une réunion bipartite chargée de coordonner la gestion de l’espace aérien Algéro-espagnol à BARCELONE en 1965, si mes souvenirs sont bons. Il s’agit de Jiménez BENAMMOUR, Général d’Aviation ; il  était à ce moment-là, grand patron de l’aviation civile espagnole sous le règne du général Francisco FRANCO.
D’après mes recherches, malgré nos origines berbères,  nous étions andalous, arrivés de BERBERIE  au VIIIème siècle, puis mis hors d’Espagne en 1492 par la Reine ISABELLE la Catholique. Mes ancêtres sont retournés en BERBERIE, dont ils étaient originaires et se sont distribués entre FES au MAROC, TLEMCEN à l’ouest de l’ALGERIE, BLIDA, CHERCHELL & TIPASA, mon lieu de naissance. 
« La merveilleuse civilisation andalouse d’Espagne, au fond plus proche de nous, parlant plus à nos sens et à notre goût que Rome et la Grèce, a été foulée aux pieds – Pourquoi? Parce qu’elle devait le jour à des instincts aristocratiques, parce qu’elle disait oui à la vie, avec en plus, les exquis raffinements de la vie mauresque!… »
Frederick NIETZSCHE
Par la suite, le destin a voulu que deux  descendants de l’ancienne tribu des BANI AMMOUR –citée par IBNOU KHALDOUN, grand penseur andalou du XIIIème siècle, auteur de « l’Histoire des BERBERES », sont devenus, tous deux cadres de l’aéronautique civile , l’un , en Espagne comme Directeur Général de l’aviation civile et l’autre, en Algérie, également  comme Directeur Général de l’aviation civile à quelques années d’intervalle. Curieux !!!
TIPASA est comme chacun sait le pays de CAMUS .
 « Au printemps, TIPASA est habité par les Dieux et les Dieux parlent dans la chaleur du soleil et l’odeur de l’absinthe, le soleil à gros bouillons dans les amas de pierres, la mer cuirassée d’argent… »  
Je cite de mémoire. 
Laissons là TIPASA, pour revenir à notre sujet.
Le 9 septembre 1954, j’entre à l’ENPA, comme on rentre dans les ordres. Un régime spartiate sévère, une discipline de fer, une envie d’apprendre qui nous prenait au ventre, nous, petits indigènes favorisés par le sort, appelés à fréquenter une école destinée aux riches ; du moins c’est ainsi que nous le percevions ; une infime minorité au milieu de cinq cents enfants de Français d’Algérie, surs d’eux, fiers de figurer plus tard dans le Bottin aéronautique de la France Eternelle.
Laissons là les émotions. 
La scolarité à l’école se passe bien, du moins selon mon opinion. Je me rappelle très bien de Monsieur TRAINARD qui nous a fait aimer « Les Lettres Françaises,  » avec le Lagarde & Michard et Monsieur MARCADAL à l’atelier, ZAMMIT également, LOUALI –décédé. Il y avait également Edmond HAURIE et sa femme, que j’ai rencontrés à MONTREAL, dans les années 7O. Il m’a même proposé de prendre la chaire de mathématiques à l’université de MONTREAL. Je n’ai pas voulu le vexer, j’avais une si belle situation en Algérie. Il a pris cela du bon côté. Son épouse m’a adressé une carte à l’hôtel me disant : « Vous nous avez apporté un rayon de soleil ». C’est vrai que je leur ai parlé de l’Algérie, ils en avaient les larmes aux yeux. Madame HAURIE était enceinte lorsque je faisais TA. J’ai alors dit à son fils qui était avec nous ce jour-là « tu étais dans le ventre de ta mère ». Je me rappelle, aussi, avoir demandé à Monsieur HAURIE : « Pourquoi, alliez-vous si vite. On n’avait ni le temps de comprend
 re, ni le temps de prendre des notes, pourquoi ? »  « C’est fait exprès » répondit-il. Sacré bonhomme !!!Et les groupes « abébiens » du grand mathématicien ABEB, c’était ABEL bien sûr, il avait un petit défaut de langue !!! On l’appelait « OUIN, OUIN », je le lui ai dit, il le savait, cela l’a fait sourire. On le voyait surgir derrière la conciergerie, le cartable emporté par la force centrifuge, en entamant le virage. L’élève QUEMA, que j’ai rencontré plus tard à DAKAR au SENEGAL, où il était prof de maths, je crois, avait fait un dessin humoristique ; heureusement que Monsieur HAURIE n’en a rien su. Je suis retourné à MONTREAL, trois mois plus tard pour une réunion de l’OACI-Organisation de l’Aviation Civile Internationale- et j’ai appelé Mr HAURIE au téléphone pour avoir de ses nouvelles. Une voix féminine m’a répondu, la délicieuse voix de Madame HAURIE. « Il est parti » me dit-elle, simplement. J’étais effondré, ne sachant que dire. Je lui ai présenté mes condoléances, c’est bi
 en peu de choses, devant le drame immense qu’a vécu cette brave dame, qui avait été si chaleureuse et si attentive. Elle aimait son époux d’un amour si grand ; je crois que c’était sa seconde épouse et il y avait entre eux une certaine différence d’âge. Monsieur HAURIE, que je n’avais pas trouvé changé, après vingt ans, m’a montré, comme un enfant son joujou : une bicyclette d’intérieur qu’il avait aménagé dans la cave. 
Et le surveillant général, le terrible Francomtois MANDRILLON, qu’on appelait « LOBO », assisté du brave GARCIA. Combien de weekends  de punition, passés à l’école au lieu d’aller à la plage comme les copains. C’est comme cela que nous sommes devenus des hommes. A la dure.
Aujourd’hui, j’apprends que Madame HAURIE est partie aussi et je suis triste.
Il y avait aussi LABBE, qui est venu me voir à Alger, avec son épouse, qui n’était pas pied-noir et voulait connaitre le pays de son mari. Je lui ai expliqué que c’était aussi bien son pays que le nôtre. Et Jacques HADJADJ, le juif de GUELMA, que j’ai rencontré à STRASBOURG. Il me dit : « pourquoi me parles-tu en Français, parle –moi en arabe ». « Tu as été en ISRAEL ? » lui dis-je. « Oui, une fois me répondit-il, je n’y retournerais pas, ils ne nous aiment pas parce que nous n’avons pas la haine des arabes ».  « Mais je ne suis pas arabe » lui dis-je, « ma mère est berbère et mon père aussi, je n’ai pas une goutte de sang arabe dans mes veines. Je ne suis ni sémite, ni antisémite, cela ne me regarde pas ». Il me répond « moi, aussi, mes ancêtres sont venus en Algérie avant les arabes, il y a plus de deux mille ans ». C’est AUFORT Jean Yves qui m’a appris qu’il est mort de façon mystérieuse.  On a parlé d’un assassinat !! Il était Directeur Général d’une filière d’USINOR.  Peut-être 
 faut-il y rechercher la cause de sa mort. Cela m’a fait beaucoup de peine. Il était franc et jovial et profondément humain. Il est venu en Algérie à la fin des années 70. Je lui ai donné les clés de ma voiture à l’époque une BMW 520, un bolide. Il est allé jusqu’à GUELMA. Il a vu son ancienne maison. Il a été reçu par les gens et on lui a permis de voir sa chambre. Rien n’avait changé. C’est cela le peuple algérien que l’on décrie tant. Il en est revenu, ému. 
Il y a également BERBACHI, un compatriote. Il était de FORT DE L’EAU, c’est un aqua fortin. Il a une agence à MARSEILLES près de la CANNEBIERE. Il était correspondant du journal « La Dépêche Quotidienne ». Il gagnait un peu d’argent en retransmettant les résultats des matches de  foot.
Je me rappelle de LOPEZ, qui m’a donné un bon conseil : le rythme infernal que l’on menait sur le plan scolaire nous menait au « burnout ». Il m’a enseigné l’endurance par le sport. Comme je n’étais pas doué, il m’a conseillé le 5 OOO m. Je suis arrivé à la troisième place au championnat d’ALGERIE. Cela m’a permis de travailler l’endurance, ce qui permit de me fabriquer ma propre devise, celle de MERMOZ, que l’on trouve à l’entrée du lycée STANISLAS à MONTPARNASSE, où j’ai envoyé mon fils faire « MATHS SUP-MATHS SPE ». La devise c’est « FAIRE FACE » inscrite en lettres d’or sous le buste de ce géant que j’admire. Comme on dit chez nous, « c’est marche ou crève » Sacré LOPEZ, on l’appelait LOPĖ comme LOPĖ DE VEGA.
Un mot sur MERMOZ, mon modèle. Un jour, à l’ENAC, au cours d’une conférence où il n’y avait jamais personne, j’arrive en retard et l’amphi était noir de monde. Un petit vieux traverse les rangs et monte sur l’estrade. Il parle, de l’aviation, mais pas celle d’aujourd’hui, celle des années trente. Silence religieux. Il parle d’un jeune homme qui est venu le voir : « je veux voler ». « Oui, tu vas aller à l’atelier, je vais te donner du travail ». « Quel travail ? ». « Il y a un peu de mécanique, tu verras, c’est facile ». Cela dura trois longs mois ; interminables et au bout de trois mois, c’était une belle journée, il lui dit « montre-moi ce que tu sais faire ». C’était Jean MERMOZ.
Le bonhomme en question, je l’ai alors deviné, c’était Didier DAURAT. J’ai eu le plaisir et l’honneur de le voir vivant devant moi. C’est le Commandant RIVIERE de « vol de nuit » de SAINT EX. Il ne l’aimait pas. Il y apparait comme un homme dur, presqu’inhumain. Jamais l’aviation n’aurait pu devenir ce qu’elle est aujourd’hui sans ces hommes d’exception.
J’en ai rencontré d’autres, c’est grâce au métier que je fais, qui est un des plus nobles qui soit.  C’est aussi grâce à Mr MALATERRE qui nous a pris sous son aile et grâce à l’ENPA. Si c’était une personne, je l’adorerais. Il y a un génie du « CAP », il n’y a pas de doute. C’est un lieu où souffle l’Esprit le plus pur, qui fabrique des Hommes, avec leur courage, leur ténacité, leur abnégation, leur envie de vivre intensément une vraie vie et non pas être une larve inutile. C’est cela être du « CAP ».
J’ai ainsi rencontré des Rois, un Empereur, des premiers ministres et j’en passe, ainsi que des Héros tels que Douglas BADER, au très fermé « Royal Aéronautics Club » à LONDRES. Sans le CAP, je n’aurais été qu’un misérable moustique perdu dans la foule anonyme.
Une belle carrière nous attendait. Au CEV, je vole souvent avec Bastien THIERRY. Il me disait souvent « Alors, jeune Homme, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui » Et un jour je lui dis « on prend le MESSERSCHMITT », l’avion du chef de la LUFTWAFFE, un MESSERSCHMITT 262, un avion de chasse redoutable  avec lequel GALLAND avait cumulé 284 victoires. On s’est régalés.  Bastien THIERRY a organisé l’attentat du Petit Clamart contre de GAULLE. Il a été attrapé. Puis j’ai quitté le beau ciel de France, craignant que l’on retrouve mon nom sur son carnet de vol. Le mien en était plein. Je l’ai déchiré en mille morceaux et j’ai pris la tangente pour rentrer.
Que dire encore. Je me rappelle du professeur d’anglais, Mr LAMOINE, je crois, il attrapait les mouches pendant le cours, leur arrachait les ailes et les laissait partir ; mettez –vous dans le tète d’une mouche dépourvue de ses ailes, c’est la dépression nerveuse assurée. Il traduisait « nevertheless » en faisant le geste de « nez en moins », c’est-à-dire « néanmoins ». Et le prof de chimie, qui vient de l’Andalous « KEMIA »- une petite quantité ; Il dictait son cours, s’arrêtait lorsque la cloche sonnait au milieu de la phrase. Il la reprenait la semaine suivante à la même heure en reprenant la phrase où il l’avait laissée la semaine précédente et poursuivait, la cigarette au bec sans qu’elle ne s’éteigne, car il rallumait la suivante avec le mégot. 
Le prof de dessin, CRISIAS, appelé CRICRI, quel artiste. Le prof d’électricité, Mr RAZEAU qui reprenait le même cours, mais en plus développé, jusqu’en TA. Il est resté après l’indépendance. Je l’ai rencontré. J’ai rencontré également, Mr RAZIGADE, le prof d’Histoire. Celui qui apprenait par cœur, comme l’élève P…. s’attendait à avoir la meilleure note était appelé le dernier avec une note de 0,5. P……, un jour récitait le CID avec POUPEE, Mme ABDESSLAM, la prof de français en 3ème TI, n’arrivait pas à réciter en prenant le texte au milieu, s’est mis à pleurer après la dixième tentative.
Les pions étaient uniques : il y avait le frère de l’élève AUFORT, « JO » pour les intimes : il avait une carrure à faire trembler SCHWARTZENEGER. Il y avait BUTAGAZ, qui nous a fait gouter la musique classique ; ce n’était pas encore Gustav MAHLER, mon idole, mais Ludwig Van BEETHOVEN. Je me rappelle de la symphonie pastorale, le murmure du ruisseau et la tempête. Il nous a fait venir SAMSON François dans le trou perdu de Cap Matifou, excusez du peu. Ce dernier a commencé par « le clavier bien tempéré » le prélude » de Jean Sébastien BACH, puis la variation GOLDBERG, je crois et enfin la valse brillante de CHOPIN. On finira avec une œuvre de Francis POULENC, me semble-t-il. Et encore BENHABILES, qui deviendra ministre de BOUMEDIENE, Socrate pour les intimes : « le train de votre connerie roule sur les rails de mon indifférence » disait-il à chacune de nos incartades, au dortoir, à l’extinction des feux.
Mr RAZIGADE, resté après l’indépendance, rencontré au Golf –la Redoute-sur les hauteurs d’Alger où j’ai habité plusieurs années, m’a confié qu’il y avait un élève « MENTA » dont on disait en réunion des professeurs qu’il pouvait faire le cours à la place du prof. Il s’agit de MENTALECHTA, natif de la ville de BLIDA, fondée par mes ancêtres andalous d’Espagne-il y a encore des BENAMMOUR à BLIDA- ; sa mère faisait les ménages chez les colons-comme celle de CAMUS-. Il obtiendra brillamment un doctorat en physique nucléaire et sera recteur de l’Université d’Alger. 
LABBE est venu me voir à Alger. Je n’ai pas pu lui organiser la visite de l’école. J’ai dorénavant pris des contacts et je connais personnellement le Général qui la dirige. J’y organise des conférences régulièrement sur la sécurité des systèmes, les méthodes d’analyse de risque, le facteur humain et la prévention des accidents touchant les systèmes d’armes. Il n’y a aucun problème pour y recevoir des personnes de nationalité française, anciens élèves et cautionnés par un quidam local tel que votre serviteur. 
PARIS le 13 Aout 2019